Le dernier jour d'avril en fin de journée, les bois des villages du florentinois se peuplaient de grands gaillards célibataires.
Leur mission était de haute importance ; choisir un arbre, un conifère de préférence, le plus grand, le plus droit possible, pour ensuite l'abattre, l’ébrancher et le ramener sur la place du village une fois la nuit tombée.
Ils s'interpellaient ! Prenons celui-là, ...non l'autre est mieux, ...mais non c'est celui-là qu'il faut prendre ...
Enfin, ils se décidaient ! Ça sera celui-ci, les doigts pointés vers leur future victime.
Cognées ou scie passe-partout s'activaient au pied de l'élu qui dans un dernier craquement s'affalait au sol. Les branches lui étaient coupées excepté celles de la cime. Ainsi mutilé, il sera traîné derrière un cheval ou un tracteur jusqu'au cœur du village.
Des petits troncs de bouleaux ou de noisetiers étaient également taillés, ils serviront de perches.
Au crépuscule, les grands gaillards assistés par les adolescents les plus costauds et occasionnellement par quelques anciens dressaient l'arbre au centre de la place publique à l'aide de cordes, d'étais, d'échelles et d'huile de coude.
Le dressage n'était pas besogne facile. Il fallait parfois s'y reprendre à plusieurs fois.
C'était l'attraction, de nombreux habitants venaient assister au spectacle.
Ils concluaient la manœuvre par des applaudissements.
Ils concluaient la manœuvre par des applaudissements.
Une fois l’arbre en place, comme par miracle, des bouteilles surgissaient de nulle part pour être débouchées à la hâte afin que les breuvages rafraichissent les gosiers desséchés par tant d’efforts et de discussions.
Ça trinquait, ça parlait fort, ça chambrait, ça riait, ...
L’élu était arrosé, baptisé arbre de Mai ou tout simplement "le Mai".
Puis, les hommes mariés rentraient chez eux, épouses aux trousses. Les filles qui avaient osé venir aussi, ainsi que les mômes.
Ne restait que les hommes célibataires et les adolescents les plus matures. Pour eux, la nuit ne faisait que commencer.
Vers minuit, par petits groupes, ils allaient récupérer le matériel agricole laissé dans les champs, les près ou hangars ouverts pour les ramener dans un grand charivari au pied de l’arbre.
Pots de fleurs, jardinières, outils de jardinage, volets dégondables, ...enfin tout ce qui était transportable était bon à prendre. Toujours dans la délicatesse, jamais de casse (ou presque), jamais d'effraction, c'était la règle.
Une fois le village "pillé", tous les joyeux lurons se retrouvaient en place publique pour casser la graine, bien souvent autour d'une omelette géante cuisinée sur un feu de bois. Pain, sauciflards, pâtés passaient de mains en mains. Mais surtout, l'essentiel, le plus sacré … les rinces-gosiers !
Venait l'heure de plaire aux filles célibataires.
Des fleurs de lilas¹ coupées la veille étaient attachées sur les perches préparées dans les bois puis chacun allait fixer l'ensemble à la grille, à la porte ou au balcon de sa préférée.
Quelques-uns en profitaient pour glisser un petit mot doux.
Si, si ...les lascars pouvaient être tendres 😄
Si, si ...les lascars pouvaient être tendres 😄
Une fois cette bonne action achevée, les plus vaillants se retrouvaient sur la place pour finir les restes, les dernières gouttes qui pouvaient être aussi des bouteilles entières et partager ensemble cette fin de nuit avec des étoiles plein les yeux. Les moins virulents, les plus frileux rentraient chez eux pour dormir un peu.
Au matin du 1er Mai, dès l'aube, les habitants les plus discrets venaient récupérer leurs biens. Ils découvraient charrettes, charrues, faucheuses, herses, rouleaux, semoirs, tombereaux, vélos, etc, plus ou moins entremêlés. Parmi ce fatras, les bancs, chaises, tables, volets et bien d’autres objets entreposés, il fallait retrouver ses biens, une tâche loin d’être facile !
Ils leur arrivaient même de découvrir des corps endormis dans des brouettes ou à même le sol, sur un matelas de fortune. Ils faisaient en sorte de ne pas les réveiller.
Plus tard dans la matinée, d'autres venaient avec ravitaillement et profitaient de l'occasion pour partager un petit gorgeon !
Puis, les gueules de bois, les tronches en biais se donnaient rendez-vous au café, histoire d’entretenir les braises. Les plus sérieux ou nauséeux essayaient de rincer les barriques avec de grandes rasades d'eau ou de limonade. Sans réel succès !
Midi approchait, il était l'heure de rendre visite aux belles demoiselles qui avaient été fleuries de bouquets. Certaines d'entre elles ravies de ne pas avoir été oubliées étaient fortement impatientes.
Dans la majorité des familles tout se déroulait bien, les fêtards étaient accueillis bras ouverts et invités à rester déjeuner. On papotait, riait, se rappelait les bons souvenirs, le père plongé dans son adolescence.
Chez d'autres, moins. Le regard sombre du père défiait le regard hagard du perturbateur. La soupe à la grimace était servie même si au dessert, ça se détendait quand même un peu.
Les plus récalcitrants à cette tradition claquaient carrément la porte au nez. Mais cela restait exceptionnel.
Les femmes célibataires les plus autonomes profitaient de l'occasion pour offrir plus que le couvert, cela dépendait du protagoniste, ...et de son état. Mais chutttt !!!
Le soir ou les jours suivants, les esprits une fois retrouvés, venait le temps d'aller voir la grandeur du Mai des villages voisins, de comparer, de charrier ou se faire tout petit.
Ces arbres trôneront au centre de leur village respectif pendant tout le mois de mai et seront débités début juin.
Cette tradition venue de la nuit des temps avait pour origine une fête païenne celte, Beltaine, qui marquait la transition entre la période sombre et la période claire.
Aujourd'hui, sous sa forme actuelle, elle survit tant bien que mal dans quelques villages.
1. Le lilas pouvait être remplacé par des ronces ou des orties si la fille était peu avenante.
Chose qui n’arrivait jamais dans le florentinois vu qu’il y avait que des gentilshommes !!!
Bientôt fin Avril, tu pourras te découvrir d'un fil !
Source : souvenirs d'ados
Montage : LeChéutain
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